Tout immigrant qui se respecte devrait normalement préserver son héritage familial. La langue en fait partie. Pour moi du moins, la préservation de mes racines linguistiques est fondamentale.
De plus, à titre de parent, mon devoir est de transmettre à mes enfants la connaissance et la pratique de la langue française. C’est encore plus vrai depuis que nous avons immigré aux États-Unis en janvier 1999.
La langue de mon fils
Après sa première journée de maternelle aux USA, mon fils Jérémie, âgé de 5 ans, revient à la maison et s’exclame: « Je ne sais pas ce qui se passe, mais ma maîtresse d’école ne me comprend pas quand je lui parle. » Sa maman l’informe qu’ici, les gens parlent anglais et qu’il doit donc s’adapter à son nouvel environnement. « Mais je ne veux pas parler anglais, moi. Je veux parler français! » rétorque le petit déraciné, alors unilingue francophone.
« La raison du plus fort est toujours la meilleure » dit la fable. Quelques semaines plus tard, telle une éponge linguistique, Jérémie parle désormais l’anglais de façon courante, sans réel accent distinctif. Oui, au fait, il en a un. L’accent américain! Son professeur me mentionne que si elle ne savait pas que Jérémie parle français, elle serait tout à fait incapable de le distinguer de n’importe quel autre élève dans sa classe.
Rapidement, le problème initial s’inverse: désormais, Jérémie ne veut parler qu’anglais. « C’est plus facile! » plaide-t-il. J’asseois aussitôt Jérémie sur mes genoux et lui dis: « Mon petit homme, regarde Papa droit dans les yeux. Ici, à la maison, on ne parle que français » . Je lui explique ensuite les fondements de cette loi familiale à saveur martiale. Jérémie comprend rapidement. Il accepte la logique paternelle au sujet de la langue maternelle.
Fiston décide alors de segmenter sa sonorité linguistique. Quelques jours plus tard, ses copains à l’école lui demandent de dire quelques mots en français. Jérémie refuse: « Non, je ne peux pas. À l’école, je parle seulement anglais tandis qu’à la maison, c’est uniquement le français. »
Aurais-je involontairement traumatisé mon fils…?
La langue de mes filles
Toujours en janvier 1999, mes adolescentes de 15 et 14 ans quittent définitivement amis et professeurs de leur école secondaire francophone, située en banlieue de Montréal. Elles commencent alors une nouvelle vie, dans un nouveau pays, dans une nouvelle demeure, sous un nouveau climat, avec de nouveaux amis, mais surtout… dans une nouvelle langue!
Un cours de chimie, c’est déjà éprouvant en français. Imaginez quand vous devez continuer le même cours, en plein milieu de l’année scolaire, mais cette fois-ci en anglais.
Donc, le premier matin, Véronique et Geneviève s’en vont d’un pas pesant et peu rassuré vers leur nouvelle école respective, la première fréquentant une High School et la seconde une Middle School. Un total d’environ 2,500 élèves puisque les deux écoles sont collées l’une à l’autre. Personne ne parle français, sauf un professeur qui enseigne notre langue à l’aide de cassettes audio provenant de Paris. Quelques élèves balbutient un ou deux mots appris durant de rares cours de français: « Bonjour, comment ça va? »
Deux francophones de 15 et 14 ans noyées dans une mer d’anglophones. Imaginez le choc!
Véronique et Geneviève sont rapidement entourées de leurs nouveaux collègues, plutôt curieux de rencontrer des personnes « who come from Canada » . Dans notre nouveau coin des USA, lorsque des immigrants viennent s’implanter, ce sont généralement des Mexicains. D’où les nombreuses questions posées à nos adolescentes. Le problème, c’est qu’elles ne comprennent pas le dixième des questions qui leur sont adressées. Elles sourient d’un air gêné et tentent du mieux qu’elles peuvent de répondre aux rares questions dont elles saisissent le sens. Et en plus, ça parle vite, les jeunes Américains!
Les premiers mois sont ardus. Nos filles en arrachent. Elles doivent travailler très fort. Mais cela en vaut la peine.
Un an après leur arrivée, Véronique et Geneviève parlent désormais très bien l’anglais, en plus de le lire et de l’écrire sans problème. Et, en prime, nos teenagers apprennent l’espagnol à l’école – une heure par jour -, et dialoguent avec plusieurs jeunes d’origine mexicaine. Pour favoriser leur épanouissement linguistique, nous avons privilégié un accès presque sans restriction à la télévision, aux amis de l’école et aux activités sportives organisées. Leurs résultats scolaires sont supérieurs à la moyenne du groupe, même dans le cours d’anglais!
Conclusion
Malgré le choc initial, l’immersion totale est définitivement la façon idéale d’apprendre une langue étrangère. Mais surtout, il ne faut jamais oublier ses racines…
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